Avoir la peau noire comme une forêt dans la nuit, plairait beaucoup à D. La sienne a la couleur du sable, comme celle du frère dont elle ne se souvient déjà plus. Elle veillait sur lui lorsqu'elle avait quatre ans et vivait dans une baraque d'El Gallinero, bidonville de roumains de Madrid. Maintenant, elle dort au second étage d'une villa de la Capitale dans une chambre, pour elle toute seule. “Avant, j'étais dans une baraque, je n'allais pas à l'école, je jouais avec mon petit frère et mon chien mais déjà, je ne me souviens pas de son nom" dit-elle. Elle a éteint sa mémoire, volontairement. Elle l'a fait au moment où elle a annoncé que sa mère était morte. Après deux ans en centre de mineurs, elle s'est détaché métaphoriquement de sa famille de sang. Sa mère biologique, à laquelle la garde de D. avait été retirée, pour l'avoir abandonnée, ne la visitait plus.
C'est alors que sont arrivés Blanca et Alejandro, un couple avec deux enfants adoptés, de race noire, Nicole et Nacho. C'était sa famille d'accueil. Ils allèrent goûter dans un McDonald’s et elle commença à les appeler “papa” et “mama” demi-heure après les avoir connus. A D. cela lui plairait d'avoir la peau noire comme un café américain pour ressembler à un frère et une sœur avec qui elle ne partage même pas le nom de famille. La famille n'est pas quelque chose d'immédiat, c'est l'accumulation de bagarres pour voir qui se douche avant les autres, les protestations à l'heure du repas, ou pour voir un film ensemble, le dimanche. "Mais pour Danièle, oui, c'était quelque chose d'immédiat, d'urgent. Elle avait tellement besoin de recevoir amour et tendresse inconditionnels, savoir que personne n'allait de nouveau l'abandonner" explique, Alejandro, son papa d'accueil.
En Espagne, il y a autour de 35.000 enfants, pris en charge par l'Etat, selon la dernière étude réalisée par la Direction Générale des Services pour la Famille et l'Enfance (2013). De ces 35.000, 50% environ vit en foyers selon la Fondation Acrescere (www.fundacionacrescere.org).
Accueil d'une enfant avec un handicap
D. a maintenant neuf ans. Cela fait trois ans qu'elle est arrivée dans sa famille d'accueil et elle connaît les albums de photos, par cœur. Elle désigne les images avec le regard et signale: “celle-là c'est maman”, “celle-là c'est Nicole”, “celui-là, c’est Nacho, qui parfois est un crampon”. Ses souvenirs sont comme un puzzle dans lequel les pièces se placent de manière chaotique et désordonnée. Si avant elle vivait dans la boue et les décombres, maintenant, elle glisse sur un sol propre tout en tenant une tablet rose dans la main.
“D. est née en Roumaníe, on dit que se fut un bébé prématuré de 7 mois et la mère a eu une infection pendant sa grossesse, c'est ainsi qu'elle est née avec une lésion cérébrale - elle avait un handicap de 50%- En venant en Espagne, la mère laissa l'enfant avec la grand-mère. Quand elle l'eu amenée, elle disait "voici la folle". Quand elle eut quatre ans, D. fut scolarisée mais les professeurs se rendirent compte qu'elle manquait beaucoup, qu'elle arrivait toujours sale ou en disant qu'elle avait brûlé ses vêtements dans un feu. Ce sont les travailleurs sociaux de l'école qui ont dénoncé le cas : La communauté de Madrid est intervenue et l'enfant a été placée dans un foyer de la zone de Vallecas. Au début, la mère allait la voir tous les mois, on lui donnait une rente sociale et une des conditions pour la recevoir, était qu'elle vienne voir sa fille. Quand la rente s'acheva, elle cessa d'aller voir D. Elle le vécut très mal.
« Elle avait cinq ans et ne parlait même pas. Quand nous sommes arrivés, ils lui firent une étude et ils ont détecté que son âge mental était de deux ans, alors qu'en réalité, elle en avait six. Elle ne connaissait même pas les couleurs « raconte Blanca sa maman d'accueil.
Au début, D. était très insécurisée. Tous les jours elle demandait : "n'est-ce pas que tu es ma maman ?" “ n'est-ce pas que je vais être dans la famille ?”, “n'est-ce pas que cela sera pour toujours?”.
Nicole, de quinze ans et Nacho, de douze, sont les autres enfants non biologiques de Blanca et Alejandro. Les deux sont arrivés dans la famille alors qu'ils étaient bébés. Nicole a commençait par un accueil puis, après plusieurs années où il a été impossible de localiser la maman, la petite fille fut adoptable. Nacho, cependant, l'a été dès le début. Dès sa naissance, il faut abandonner dans les rues de Haïti. Il a du survivre six mois à l'intempérie, jusqu'à ce que les services sociaux le rencontrèrent et le prirent en charge.
« La Communauté de Madrid nous a demandé d'adopter D. Bien sûr que nous l'adopterons. L'enfant n'a pas d'endroit où aller. Si le temps de l'accueil se termine, elle devra revenir au foyer et cela serait horrible pour elle. De plus, elle est pour nous comme une enfant de plus » reconnaît Alejandro.
Auteur: Noemi López Trujillo avec une vidéo de “93 mètres”
Extrait de l'artícle publié dans El Español le 7 mai 2016