Entretien : SIGNOS, avril 2016, n°1
Sr. CARMEN CHÁVEZ, par José Luis Franco.
Soeur Carmen Chávez est religieuse compassioniste depuis plus de 30 ans. Elle nous confie : « Tout au long de ces années j'ai veillé à être plus à l'écoute, et à porter un regard attentif partout où mes pas m'ont conduite face à toutes les situations d'inégalités, mais aussi face au plus petit geste de vie et d'espérance tant au sein de ma communauté qu'à l'extérieur, dans les diverses réalités où j'ai pu partager vie et mission » . Elle est, au Pérou, la Supérieure de la congrégation des sœurs compassionistes, religieuses qui travaillent dans les banlieues et qui célèbrent aujourd'hui 60 ans d'engagement avec le peuple péruvien. Actuellement sœur Carmen fait partie du Conseil Général de sa Congrégation, une responsabilité qui la conduit à veiller sur l'ensemble de la communauté au niveau mondial.
Votre charisme est d'être dans les banlieues, quel regard portez-vous sur ces 60 ans de travail pastoral ? Quel est votre sentiment aujourd'hui ?
Ces 60 ans ont été comme une conversion en chemin. Mes premières sœurs sont venues évangéliser, faire connaître Jésus-Christ à partir de leur charisme de compassion, et dans la mesure où elles ont découvert et aimé les diverses réalités de cet environnement, particulièrement dans le département de San Martin (zone forestière) elles ont été elles mêmes évangélisées par les pauvres, hommes et femmes du peuple.
Le charisme de notre congrégation est la sanctification de ses membres, l'éducation chrétienne de la jeunesse et l'attention aux pauvres par tous les moyens possibles. Ainsi le sentiment d'être dans une zone frontalière, c'est entrer et cheminer parmi les chercheurs du Royaume de Dieu, en complémentarité et en vivant « l'inter » ; c'est dans ce sens que nous cheminons, avec la certitude que l'accueil de cette diversité nous ouvre à la nouveauté de Dieu, et que cette différence est une opportunité et non une menace. C'est l'occasion, à partir de notre simplicité et de notre fragilité de collaborer au projet de Dieu, et de faire de ce monde son Royaume. Cela semble utopique mais face à notre époque et aux réalités de notre pays c'est ce qui nous motive. Nous allons faire de cette utopie une réalité dans notre vie de tous les jours là où nous laissons tomber toute frontière interne ou externe.
Comment continuer à vivre cet esprit de compassion dans notre société?
Il est certain que la compassion n'est pas la propriété privée de la Congrégation. Nous constatons qu'elle est présente partout, jusque dans les diverses émissions à la TV, à la radio, sur les réseaux sociaux, dans beaucoup de manifestations publiques, là où on trouve la faim et la soif de spiritualité, dans le désir de se découvrir soi même et de découvrir les autres dans leur réalité propre. Nos fondateurs, le Vénérable P. Maurice Garrigou et la Mère Jeanne Marie Desclaux ont reçu ce charisme de la Compassion pour l’Église . Nous continuons à le vivre dans la société d'aujourd'hui dans la mesure où nous, en temps que religieuses et avec les laïcs de cette famille religieuse, nous essayons de vivre la même expérience de Jésus : celle de nous sentir comme Lui, intimement aimées et aimés par le Père, plongés dans la réalité de chaque jour. A partir de cette expérience nous deviendrons des témoins de cette compassion.
Votre spiritualité précise « partager la vie des pauvres ». Comment cela se concrétise t-il ?
Nous le vivons concrètement à partir des choses les plus simples et les plus complexes : un bonjour, un regard tendre, juste et accueillant, une voix ferme pour dénoncer tout abus et explotations des êtres humains, une solidarité efficace, donner un coup de main à celui qui porte un fardeau, entamer un dialogue avec son prochain, avec un inconnu. Nous le vivons également concrètement, en portant des projets où les pauvres auront un rôle prépondérant et où nous apprendrons sans cesse à leurs cotés. C'est ainsi que nous développons des services de soutien scolaire, l'éducation auprès des enfants handicapés, des cantines scolaires, l'engagement auprès des paysans, des personnels de santé, des jeunes, des organismes de volontariat et autres.
Ce que nous apporte ce partage de la vie des pauvres, c'est la capacité à porter un regard critique sur la réalité que nous vivons, le respect de la dignité en général et spécialement de celle des femmes que nous éveillons, en cherchant ensemble une vie plus digne et plus juste.
Je peux te dire que même si cela n'ôte pas la fatigue des nuits blanches, nous sommes les grandes bénéficiaires de la joie et du bonheur que nous allons célébrer avec eux, tous ensemble.